AUTHOR: Ion T. DRAGOMIR
ROMAN TOMBS IN A FUNERARY TUMULUS WITH STONE RINGS, DISCOVERED AT TIRIGHINA-BĂRBOŞI, IN THE ROMAN TERRITORIES FROM SOUTHERN MOLDAVIA
Danubius, XVI, Galaţi, 1996, pp. 535-566.
SÉPULTURES ROMAINES D’UN TUMULUS FUNÉRAIRE AVEC RINGS DE PIERRE LOCALISÉ À TIRIGHINA BĂRBOŞI, DANS LE MIDI ROMAIN DE LA MOLDAVIE
Résumé
Les recherches archéologiques de Tirighina—Bărboşi, pratiquées durant les années 1976-1979 par les spécialistes du Musée départemental d’histoire de Galaţi, en collaboration avec ceux de l’Institut d’histoire et d’archéologie „A. D. Xenopol” de Iaşi, ont conduit à la mise au jour d’intéressants témoignages archéologiques inédits concernant la continuité et la romanité de la population autochtone géto-dace et dacoromaine habitant le midi romain de la Moldavie.
Au cours de la période mentionnée, les campagnes de fouilles ont dégagé quatre habitations romaines avec un riche mobilier archéologique susceptible d’illustrer une intense cohabitation daco-romaine. Par la même occasion, fut localisé un tumulus funéraire avec des rings de pierre. Ces vestiges ont été mis au jour grâce à une cassette de grandes dimensions (25,50×17 m), pratiquée dans la partie occidentale du camp. Son emplacement se trouve donc à l’intérieur de l’agglomération romaine civile, dans le voisinage immédiat du mur d’enceinte, qui descend la pente escarpée de la colline de Tirighina—Bărboşi, suivant une direction nord-sud.
Nous nous proposons de présenter ci-après seulement les résultats des fouilles de ce tumulus funéraire, les autres vestiges archéologiques de l’endroit devant faire l’objet d’une étude à part.
Suivant une direction ouest-nord-ouest par rapport aux quatre habitations précitées, mais dans leur proche voisinage, les fouilles ont dégagé deux „rings” de pierre (en pierre de Dobroudja), disposés concentriquement et faisant partie d’un tumulus funéraire avec des sépultures romaines, à inhumation et à incinération. Le ring extérieur mesure pour un diamètre de 5 m une épaisseur du mur de 0,45-0,60 m, cependant que le ring plus petit, offrant un diamètre de 2,70 m, se présente avec une épaisseur de 0,30 m pour une hauteur de 0,30—0,50 m.
Sur les seize tombes romaines trouvées tant dans le tumulus que dans son voisinage immédiat, sept sont à incinération et neuf à inhumation. Il s’agit de sépulture pour la plupart, en mauvais état de conservation et parfois bouleversées dés l’époque antique, avec un mobilier funéraire relativement pauvre, surtout dans les tombes à incinération. Onze tombes étaient aménagées dans le tumulus même — deux à incinération (T. 1 et 16) et neuf (T. 7—15) à inhumation. Quant aux cinq autres tombes, toutes à incinération (T. 2—6), elles ont été localisées à l’extérieur du périmètre couvert par le tumulus.
Partant des ossement récupérés et compte tenu de la composition du mobilier funéraire, les spécialistes ont tâché de préciser dans la mesure du possible l’âge et le sexe des seize défunts. On a abouti de la sorte aux précisions suivantes: les tombes 1, 7—8 et 13 appartenaient à des adultes, dont un seul de sexe masculin (T. 7), toutes les autres sépultures ayant renfermé assurément des enfants, vu les mensurations des squelettes et leur décomposition presque complète. Les tombes à inhumation sont disposées suivant des directions variées, généralement la tête vers l’est-nord-est et les pieds ouest-sudouest ou bien ouest-nord-ouest avec les pieds est-sud-est et moins fréquemment en direction est-ouest. Enfin, dans le cas des tombes grièvement endommagées, nous nous référons à celles d’enfants (T. 9—12 et 14-15), il a été impossible de préciser exactement la direction. Fort souvent, le contour des tombes creusées dans l’argile n’a pu être précisé que grâce à la présence des clous et des tâches de rouille, ainsi que des traces de pourriture, laissés par les bières.
Il va sans dire que l’apport le plus valable au point de vue documentaire, scientifique et muséographique de la nécropole de Tirighina—Bărboşi est fourni par les objets constituant le mobilier funéraire. Bien que pas trop nombreux, ces objets ont quand même le mérite d’offrir toute une série de données archéologiques et historiques portant sur l’histoire antique du pays roumain et étroitement liées à la continuité, à la romanité et à la cohabitation de la population autochtone d’origine dacoromaine du midi romain de la Moldavie.
Si l’on examinait par groupes d’objets le mobilier de ces tombes, la situation se présenterait comme suit: Tout d’abord, une amphore romaine, ovoïde et de grande taille (0,94 m de haut), livrée par la tombe 6 à incinération et datée du IIe siècle de n.è. Puis, cinq autres amphores romaines, la pâte d’un rose jaunâtre, piriformes et de taille moyenne, deux livrées par la tombe 1 à incinération et trois par la tombe 7 à inhumation, le tout daté des IIe—III- siècles de n.è. Six cruches romaines de tailles et formes diverses, deux provenant de la tombe 1, une en kaolin blanc tirant sur le jaune appartenant à la tombe 9 à inhumation, deux autres livrées par les tombes à inhumation 10 et 11, ainsi que la dernière à l’ouverture trilobée trouvée dans la tombe 13 — également datées toutes des IIe—IIIe siècles de n.è. Deux lampes romaines, l’une trouvée dans la tombe 7, l’autre dans la tombe 1, mais les deux datées des IIe— IIIe siècles de n.è. Ajoutons aussi la cassolette géto-dace munie d’une anse et trouvée aux pieds de la tombe 7.
Parmi les objets de parure ou de strict usage personnel, notons en premier lieu une fibule romaine d’or, de l’espèce dont les bouts sont en oignon et posant 21 grammes; l’inscription latine „INNOCENS” este gravée sur le chant du porte-agrafe. Trouvée dans la tombe 7, cette pièce a été datée par la présence à ses côtés de trois monnaies romaines de Claude II le Goth (268—270) de la fin du IIIe- siècle de n.è. Les fouilles ont également récupéré quelques perles en verroterie de couleur, de formes et de tailles diverses, dont certaines déformées par le feu (trouvées dans le bûcher de la tombe 1), alors que quelques autres ont été livrées par les tombes 8—9. La tombe 13 contenait un miroir romain de plomb. Une boite cylindrique de plomb à couvercle, un verre romain irrécupérable, un tuyau de corne, deux boucles ovales de bronze et deux courroies à rivets, représentant des accessoires de chaussures romaines faisaient partie du mobilier de la tombe 7, qui s’est avérée la plus riche de toutes celles mises au jour dans le tumulus romain à rings de pierre de Tirighina—Bărboşi.
En ce qui concerne les objets de fer, leur nombre est plutôt modeste: deux couteaux à l’état fragmentaire, de l’espèce à la manche à pédoncule (l’un de la tombe 1, l’autre de la tombe 7), le reste des objets de fer étant constitués par des clous plus ou moins gros, provenant des bières romaines.
Ajoutons encore à cet inventaire la présence de quelques grains de suif et de menus morceaux de charbon à bois récupérés au fond des cruches romaines des tombes 10—11, ainsi que la cendre et les charbons de la cassolette géto-dace — récipient typiquement autochtone, déposé de manière symbolique aux pieds de la tombe 7. D’une importance toute particulière s’avèrent aussi les cinq monnaies romaines livrées par ces tombes. Ce sont des pièces de bronze trouvées: trois dans la tombe 7 et appartenant aux émissions de l’empereur Claude II le Goth (268—270), une autre de Septime Sévère (193-211) trouvée dans la zone des tombes 10—22 et la dernière, de Geta (211—212), aux alentours des tombes 12— 14.
Partant de toutes les pièces qui composaient le mobilier funéraire des seize tombes à incinération et à inhumation mises au jour dans le tumulus romain à rings de pierre de Tirighina—Bărboşi, ainsi que des sépultures trouvées à l’extérieur de son périmètre (T. 2—6), on serait en droit de préciser comme certaines les trois étapes suivantes de l’usage de celte nécropole:
I. Une première étape, illustrée par la tombe 6 à incinération, sur la trajectoire S1 — 1978, à l’extérieur du périmètre du tumulus et comportant comme mobilier l’amphore
ovoïde de grande taille (0,94 m), datée des Ier-IIe siècles de n.è.
II. La deuxième étape comprend les tombes 10—14 à inhumation, datées grâce aux monnaies de la période des Sévères, c’est-à-dire de la fin du IIe siècle de n.è. et des premières décennies du IIIe siècle.
III. Enfin, de la troisième étape sont sans conteste les tombe 1 et 7, à mobilier analogue et datée par les monnaies de Claude II le Goth de la fin du IIIe siècle de n.è.
Une portée prioritaire des résultats documentaires scientifiques obtenus par les campagnes de fouilles de l’intervalle 1976—1979 revient sans doute à la tombe 7. En effet, cette tombe à inhumation a livré un dot particulièrement important au point de vue de la culture matérielle par rapport aux autres sépultures de ce tumulus funéraire. On peut présumer, en ce qui la concerne, que nous avons affaire a la sépulture d’un personnage d’origine géto-dace de sexe masculin, romanisé et avec de hautes fonctions au sein de l’agglomération civile romaine de Tirighina-Bărboşi. C’est là une déduction tout à fait logique du fait de la présence, aux côtés des offrandes romaines, de la cassolette géto-dace, récipient symbolique entre tous avec un accusé caractère rituel et funéraire et caractéristique pour la culture et la civilisation des ancêtres directs des Roumains, les Géto-Daces. Qui plus est, compte tenu du fait que le défunt reposait dans sa tombe, la tête vers l’ouest-nord-ouest et les pieds est-sud-est, étendu sur le dos, les mains croisées sur l’abdomen, selon le rite chrétien, il ne serait pas exclus qu’il s’agisse d’une sépulture paléochrétienne, datée de la fin du IIIe siècle de n.è. Dans ce cas là, ce serait l’unique tombe de cette espèce trouvée jusqu’à présent, tant dans le midi romain de la Moldavie que dans la totalité du territoire de la Roumanie. Du reste, l’inscription même gravée sur la fibule d’or de Bărboşi, ce nom d’INNOCENS serait un argument en faveur de l’apparition du premier nom chrétien dans l’Empire romain, au nord du Danube, vers la fin du IIIe siècle de n.è.
Il est donc évident que ces vestiges archéologiques représentent autant de preuves concrètes, de véritables documents scientifiques en étroit rapport, avec le processus de continuité, romanisation et cohabitation vécu par la population daco-romaine dans le cadre de l’important camp romain situé à l’embouchure du Siret, dans le midi romain de la Moldavie.